Le marchand d'illusions
La nuit tombait sur la forêt qui entourait l’atelier de Merlin. Une brume légère rampait sur le sol, comme si les ombres du crépuscule hésitaient à céder leur place à l’obscurité totale. Sous la voûte des grands chênes, un homme avançait à pas mesurés, son manteau usé accrochant les branches basses.
Le voyageur paraissait fatigué. Pas seulement par la marche ou le poids de ses épaules voûtées, mais par quelque chose de plus profond, quelque chose qui, depuis longtemps, le rongeait sans qu’il puisse en saisir l’origine exacte.
Enfin, il aperçut la lumière vacillante d’une lanterne. Elle dessinait un cercle doré autour de la porte d’une bâtisse en pierre et en bois, couverte de mousse et d’herbes folles. Au-dessus de l’entrée, une enseigne sculptée dans le chêne annonçait en lettres élégantes :
Les Potions de Merlin
Le voyageur hésita une seconde. Puis, d’un souffle court, il poussa la porte.
L’intérieur était chaleureux, empli du parfum des plantes séchées et du feu de cheminée. Des étagères croulaient sous des bocaux de toutes tailles, chacun contenant des herbes mystérieuses, des écorces parfumées ou des épices venues d’ailleurs. Sur un grand comptoir en bois, un chaudron laissait échapper une vapeur d’un bleu profond.
Derrière ce comptoir, Merlin était là. Il n’avait ni long bâton magique ni chapeau, mais une présence qui imposait le respect sans jamais l’exiger. Ses yeux pétillaient d’une malice bienveillante, et son sourire semblait toujours sur le point d’accueillir une nouvelle histoire.
— Entre, voyageur, dit-il d’une voix calme. Ce n’est pas une nuit à errer seul dans la forêt.
Le visiteur referma la porte derrière lui et s’approcha lentement.
— J’ai entendu parler de toi, murmura-t-il.
— Voilà qui est intéressant, répondit Merlin en versant un liquide ambré dans une tasse. Et qu’a-t-on dit sur moi ?
Le voyageur ne répondit pas immédiatement. Il accepta la tasse et porta la boisson à ses lèvres. La chaleur lui fit du bien.
— On m’a dit que tes potions ne guérissaient rien, finit-il par lâcher. Qu’elles ne faisaient que… réconforter.
Merlin haussa un sourcil, amusé.
— C’est exact. Ce sont des breuvages de paix, des moments de douceur dans la tourmente.
— Alors tu n’as pas le pouvoir de soigner ?
— Non. Et si quelqu’un t’a promis le contraire, c’est un menteur.
Le voyageur serra les doigts autour de sa tasse, comme pour y puiser une force invisible.
— C’est ce que je voulais entendre.
Il leva enfin les yeux vers Merlin, et dans son regard brillait une lueur étrange, entre la honte et l’espoir.
— J’ai suivi un autre homme avant de venir ici, avoua-t-il. Il se faisait appeler Solal des Étoiles.
À ces mots, Grisouille, qui somnolait sur un coussin près du feu, ouvrit un œil méfiant et agita l’oreille.
— Ah, fit Merlin en s’adossant au comptoir. Solal… Voilà un nom qui ne m’étonne pas.
— Tu le connais ?
— Disons que nous avons eu des… désaccords. Autrefois, il se faisait appeler Azénor. Mais la lumière des mystères qu’il effleurait l’a aveuglé, et il s’est cru destiné à briller plus fort que tous. Il a d’abord choisi de se nommer Soleil Astral des Étoiles — un nom grandiloquent, à la mesure de ses illusions. Puis, avec le temps, il a raccourci son titre en Solal, plus subtil, mais toujours forgé pour éclipser les autres. Beaucoup de ceux qui effleurent la magie finissent par mépriser leur nom de naissance… comme s’il leur fallait un autre masque pour se croire plus grands.
Le voyageur soupira et posa sa tasse.
— Il m’a promis un remède. Quelque chose de puissant. J’avais mal, je souffrais depuis longtemps, et il m’a assuré qu’il savait d’où venait mon problème.
— Bien sûr, murmura Merlin en croisant les bras. Il t’a trouvé une faille invisible et t’a convaincu qu’il était le seul à pouvoir la combler.
Le voyageur hocha la tête, la gorge nouée.
— Il m’a vendu des élixirs à un prix insensé. Il parlait d’alignement des énergies, d’ondes subtiles, de fréquences cosmiques… Il disait que si ça ne marchait pas, c’était parce que je ne croyais pas assez, parce que je n'étais pas "ancré", trop fermé, trop… impur.
Ses doigts tremblèrent sur le bois du comptoir.
— J’ai tout fait pour me purifier, pour atteindre cette harmonie qu’il décrivait. J’ai suivi tous ses conseils, dépensé tout mon or, et chaque fois que cela ne fonctionnait pas, c’était moi le fautif. Il me regardait avec un mépris à peine voilé, comme si j’étais un enfant incapable de comprendre.
Il releva la tête vers Merlin.
— Et pourtant… j’ai continué à le suivre. Parce que l’idée que ce soit de ma faute me semblait moins insupportable que d’admettre que j’avais été dupé.
Un silence pesant s’installa. La seule chose qui bougeait encore, c’était la vapeur qui s’élevait du chaudron.
— C’est ainsi que fonctionnent les manipulateurs, dit Merlin d’une voix douce. Ils ne vendent pas des remèdes, ils vendent du doute. Plus tu souffres, plus ils prospèrent, et plus ils te tiennent sous leur emprise.
Le voyageur baissa les yeux.
— Alors c’était un mensonge… tout ce qu’il racontait sur l’énergie, sur les étoiles, sur la guérison…
— Non, répondit Merlin en posant une main sur son épaule. Ce n’est pas le cosmos qui t’a trahi, mais l’homme qui s’en est fait le porte-parole.
Il versa une autre tasse et la tendit au voyageur.
— Bois. Repose-toi. Ici, personne ne te jugera.
Le visiteur hésita, puis accepta. Une larme roula sur sa joue, mais cette fois, ce n’était pas de désespoir.
Au fond de la pièce, Grisouille remua la queue et se pelotonna à nouveau, l’air satisfait.
Dans la forêt, pourtant, une autre ombre avançait sous les branchages. Une silhouette drapée dans un manteau sombre, les yeux levés vers le ciel étoilé.
Solal des Étoiles s’approchait.
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Dans l’atelier de Merlin, le feu crépitait doucement, projetant des ombres mouvantes sur les étagères chargées de bocaux et de fioles. Le voyageur tenait toujours sa tasse, mais son regard s’était perdu quelque part entre la lueur des flammes et le gouffre de ses pensées.
Merlin, quant à lui, l’observait en silence. Il savait qu’il ne fallait pas brusquer ceux qui venaient à lui, brisés par des promesses vides et des illusions trop belles pour être vraies.
— Dis-moi, reprit-il doucement, comment es-tu arrivé jusqu’à lui ?
Le voyageur eut un sourire amer.
— Par le malheur, comme tous les autres.
Il reposa sa tasse et joignit ses mains, les doigts noués comme s’il tentait de retenir un poids invisible.
— J’avais une douleur que personne ne pouvait apaiser. J’ai vu des guérisseurs, des médecins, des sages… Aucun ne m’a apporté de réponse. Et puis, quelqu’un m’a parlé de lui.
Son regard s’assombrit.
— "Solal des Étoiles", le nom seul semblait murmurer des promesses. Il disait voir ce que les autres ne voyaient pas, comprendre ce que personne ne comprenait. Il ne promettait pas seulement un remède, mais une vérité cachée.
Le voyageur serra les poings.
— Et j’avais tellement besoin de croire…
Merlin hocha la tête, son regard empli d’une tristesse lucide.
— C’est ainsi qu’ils tissent leurs filets. Ils ne guérissent pas, ils captent les âmes égarées.
Le voyageur inspira profondément, puis poursuivit :
— Au début, il était… fascinant. Ses mots semblaient porteurs d’une sagesse ancienne. Il parlait comme s’il savait tout de moi avant même que je parle. Il m’a dit que ma souffrance venait d’un déséquilibre, que mon être vibrait à la mauvaise fréquence. Que si je voulais aller mieux, je devais me purifier…
Il eut un rire sans joie.
— Je l’ai cru. J’ai suivi ses rituels, j’ai acheté ses élixirs. À chaque échec, il trouvait une excuse. "Ton esprit est trop fermé." "Tu n’es pas encore prêt." "Tes pensées sont polluées." Et moi, imbécile, j’essayais encore, et encore…
Sa voix se brisa un instant.
— Puis, un jour, j’ai osé dire que je ne sentais aucune amélioration.
Il serra les dents, comme si ce souvenir était un clou encore enfoncé dans sa chair.
— Son regard a changé. Lui qui était toujours si doux, si bienveillant… d’un coup, il était froid. J’ai compris, trop tard, que je n’avais jamais été un disciple, ni un patient. Juste un client qu’il fallait garder docile.
Il releva les yeux vers Merlin.
— C’est là qu’il m’a dit ces mots… Ceux qui m’ont hanté chaque nuit depuis : "Si tu ne guéris pas, c’est que tu ne le veux pas vraiment."
Le silence qui suivit fut plus lourd qu’un ciel d’orage.
Merlin se pencha légèrement en avant, son regard s’embrasant d’une flamme discrète.
— C’est là le cœur de son mensonge.
Le voyageur ne répondit pas. Il semblait lutter contre quelque chose d’invisible, une ombre accrochée à son âme.
Merlin se leva alors et alla chercher une petite boîte en bois sculpté. Il l’ouvrit et en sortit un sachet de tissu empli de plantes séchées.
— Bois cette infusion, dit-il en lui tendant. Elle ne te guérira pas. Elle ne t’apportera ni vérité cachée, ni pouvoir cosmique. Mais elle t’apaisera, pour un instant.
Le voyageur prit le sachet, les yeux embués.
— Pourquoi est-ce si difficile ? souffla-t-il.
— Parce que tu dois réapprendre à t’écouter. Solal t’a fait douter de toi à chaque pas. Il a ancré en toi l’idée que tu étais défectueux, que la faute te revenait. C’est une prison invisible, mais redoutable.
Il posa une main sur l’épaule du voyageur.
— Mais tu peux en sortir.
Le voyageur serra le sachet de plantes contre lui comme un talisman.
Puis, une rafale de vent s’engouffra soudain sous la porte, faisant vaciller la flamme des chandelles. Grisouille, qui somnolait près du feu, bondit sur ses pattes et feula en direction de l’entrée.
Et alors, un bruit sourd résonna contre le bois.
On venait de frapper à la porte.
Merlin et le voyageur échangèrent un regard.
Le battant s’ouvrit dans un grincement, laissant entrer une silhouette encapuchonnée. Un manteau noir, des bottes couvertes de poussière.
Dans la lueur du foyer, deux yeux perçant brillèrent sous la capuche.
— Eh bien, eh bien… Voilà donc l’illustre Merlin.
Le ton était mielleux, moqueur, et pourtant tranchant comme la lame d’un poignard dissimulé sous un sourire.
Le voyageur blêmit.
Merlin, lui, ne cilla pas.
— Solal.
L’homme retira lentement sa capuche, dévoilant un visage aux traits fins, élégants, mais marqués par une dureté impitoyable.
Il eut un sourire sans chaleur.
— Tu me dois des excuses, Merlin. Il semblerait que tu sois en train de voler mes disciples.
Un silence de plomb s’abattit sur la pièce.
Puis, doucement, Merlin sourit à son tour.
— Rassure-toi, Solal… Je ne vole rien. J’ouvre juste les cages.
Le duel venait de commencer.
Le silence s’étira, épais comme la brume dans les sous-bois avant l’aube.
Solal détaillait l’atelier du regard, son sourire figé trahissant une pointe de mépris. Ses yeux s’attardèrent sur les étagères chargées d’herbes séchées et de fioles aux reflets ambrés. Puis, il ramena son attention sur Merlin et le voyageur.
— Alors c’est ici que tu te caches, murmura-t-il en effleurant du bout des doigts un pot de céramique. Ce recoin humide où l’on mélange des herbes pour endormir les âmes faibles.
Merlin ne répondit pas. Il savait que Solal parlait pour dominer, pour instiller le doute. Il n’était pas venu ici pour débattre, mais pour s’assurer qu’il gardait l’ascendant sur ses proies.
— Tu es venu chercher quelque chose, constata Merlin d’un ton calme.
Solal eut un léger rire.
Son regard dériva vers le voyageur, qui s’était recroquevillé sur lui-même, comme un animal blessé.
— Regarde-toi, souffla-t-il avec une douceur venimeuse. Tu trembles. Comme autrefois, non ? Comme le jour où tu es venu me supplier de t’aider.
Le voyageur baissa la tête.
— C’est normal, reprit Solal d’un ton doucereux. Ceux qui doutent de moi finissent toujours par revenir. Parce que la vérité que je détiens est trop vaste pour être comprise d’un seul coup.
Il s’approcha, tendit la main, effleura presque l’épaule du voyageur.
— Viens, et nous reprendrons là où nous nous sommes arrêtés. Cette fois, tu comprendras.
Le voyageur releva les yeux, hésitant, pris entre la peur et l’ombre insidieuse de l’habitude.
Mais Merlin fit un pas en avant, s’interposant entre eux.
— Non.
Solal haussa un sourcil.
— Non ?
— Tu ne le prendras pas.
Solal eut un rictus amusé.
— Oh… Tu crois donc avoir un quelconque pouvoir sur lui ?
Merlin secoua lentement la tête.
— Moi, je ne retiens personne. C’est la différence entre toi et moi.
Solal croisa les bras, narquois.
— Allons, sois honnête, Merlin. Nous faisons tous deux commerce du même besoin : l’espoir. Simplement, toi, tu le dilues dans une tasse d’eau chaude. Moi, je l’affine jusqu’à ce qu’il devienne vérité.
Merlin sourit légèrement.
— Ah, mais c’est là où tu te trompes. Moi, je ne vends pas d’espoir. Juste des instants de paix.
Solal ouvrit la bouche pour répliquer, mais Merlin continua, implacable :
— Toi, tu vends du rêve. Et quand le rêve s’effondre, tu vends de la culpabilité. "Si cela ne marche pas, c’est ta faute." "Si tu souffres encore, c’est que tu résistes à la lumière." C’est une prison parfaite.
Un silence s’abattit sur la pièce.
Le voyageur, toujours assis, respirait plus vite, comme si un vent d’altitude venait de souffler en lui.
— C’est… c’est vrai, murmura-t-il.
Solal tourna lentement la tête vers lui.
— Qu’as-tu dit ?
Le voyageur releva les yeux. Son regard était différent. Plus lucide.
— Je t’ai cru, Solal. Je t’ai suivi. Et quand j’ai douté, tu m’as écrasé sous mes propres doutes. Tu m’as fait croire que tout était en moi, que si je n’allais pas mieux, c’était uniquement parce que je ne méritais pas d’aller mieux.
Sa voix tremblait, mais cette fois, ce n’était plus de peur.
— C’est toi qui ne veux pas que les gens guérissent.
Un éclair passa dans les yeux de Solal. Sa mâchoire se crispa imperceptiblement.
Puis, il sourit.
Mais ce sourire était froid.
— Quelle ingratitude, souffla-t-il.
Il recula d’un pas, ajusta le col de son manteau, et tourna son regard vers Merlin.
— Bravo. Vraiment. Tu as réussi à briser le charme.
Il inclina légèrement la tête, une ironie glacée dans les yeux.
— Mais prends garde, Merlin. Ceux qui défont mes toiles se retrouvent souvent piégés dans d’autres.
Puis, sans attendre de réponse, il pivota et s’éloigna, ouvrant la porte sur la nuit noire.
Un courant d’air froid s’engouffra dans la pièce alors que la silhouette de Solal se fondait dans l’obscurité de la forêt.
Le silence revint.
Le voyageur inspira profondément, comme si un poids invisible venait enfin de quitter sa poitrine.
Merlin, lui, regardait la porte encore ouverte, un pli soucieux au front.
Il savait que cette histoire n’était pas terminée.
Pas encore.
La porte claqua doucement sous l'effet du vent nocturne, laissant derrière elle un silence dense. Le voyageur, encore tremblant, frotta ses mains l'une contre l'autre comme pour chasser un frisson invisible.
— Il va revenir, n'est-ce pas ?
Merlin détourna son regard de la nuit pour le poser sur lui.
— Probablement.
Le voyageur déglutit.
— Il… il m’a regardé comme si j’étais une chose insignifiante. Comme si je ne valais même pas la peine qu’il s’énerve.
Merlin hocha lentement la tête.
— Parce que pour lui, tu n’es pas une personne. Juste un pion qu’il a perdu.
Le voyageur baissa les yeux.
— J’ai honte…
Merlin fronça légèrement les sourcils.
— Honte ?
— D’y avoir cru. D’avoir laissé quelqu’un comme lui prendre autant d’emprise sur moi.
Le druide s’accroupit face à lui, cherchant son regard.
— Ce n’est pas une question d’intelligence ou de faiblesse. C’est une question de besoin. Solal ne manipule pas les idiots, il manipule ceux qui cherchent une réponse, un réconfort. Et tout le monde, un jour ou l’autre, cherche quelque chose.
Le voyageur secoua lentement la tête.
— J’aurais dû voir…
— Mais il ne voulait pas que tu voies. Il t’a entouré de phrases si belles, si pleines de sens, qu’elles t’ont semblé indiscutables. Il t’a fait croire qu’il détenait une vérité à laquelle tu n’avais pas accès.
Merlin se releva et s’approcha de l’âtre où les braises rougeoyaient encore. Il prit une pincée d’herbes séchées et les jeta sur le feu. Un parfum apaisant s’éleva dans l’air.
— Tu sais ce qui rend ses mensonges si puissants ?
Le voyageur releva doucement la tête.
— Il ne dit jamais une fausseté complète. Il parsème ses discours de vérités évidentes, pour mieux y glisser ses poisons. "Le corps et l’esprit sont liés"… Oui. Mais en déduire que toute maladie vient exclusivement de l’esprit ? Non. "L’homme doit être acteur de sa guérison"… Oui. Mais en faire un fardeau et une culpabilité ? Non.
Le voyageur fixa les flammes, absorbant ces mots comme une lumière nouvelle.
— Il voulait que je me sente coupable d’aller mal…
Merlin sourit doucement.
— Parce qu’un esprit coupable est plus malléable.
Le silence s’étira, mais cette fois, il n’était plus pesant.
Puis, Merlin tendit une tasse fumante au voyageur.
— Bois. Ce n’est pas un miracle, juste un instant pour respirer.
Le voyageur hésita une seconde, puis prit la tasse entre ses mains. La chaleur du breuvage apaisa ses doigts crispés, et il souffla doucement sur la surface avant d’en prendre une gorgée.
C’était simple. C’était bon.
Et pour la première fois depuis longtemps, ce n’était pas une promesse enrobée d’or, mais juste un moment de paix, sans attente, sans culpabilité.
Merlin observa le voyageur en silence. Il savait que la blessure était encore là, que Solal avait laissé une marque invisible sur son âme. Mais il savait aussi que ce soir, une brèche s’était ouverte.
Et que parfois, il suffisait d’une brèche pour que la lumière revienne.
Le voyageur laissa la tasse reposer entre ses mains, son regard plongé dans les flammes. Son esprit vagabondait encore entre les souvenirs de Solal et les paroles de Merlin, cherchant à assembler les morceaux d’une vérité qu’il n’avait jamais osé questionner.
— Ce que tu proposes, murmura-t-il enfin, ce n’est pas une solution. C’est juste… un instant.
Merlin acquiesça lentement.
— Exactement.
Le voyageur fronça légèrement les sourcils.
— Mais alors… pourquoi ? Pourquoi ne pas promettre plus ? Pourquoi ne pas donner aux gens ce qu’ils veulent vraiment ? L’espoir, la guérison, des miracles ?
Merlin s’accouda sur sa grande table de bois et le regarda avec une douceur infinie.
— Parce que je ne veux pas mentir.
Le voyageur tressaillit.
— Mais… le monde entier veut qu’on lui mente.
— Oui, répondit Merlin dans un souffle. C’est bien là le problème.
Le silence retomba, lourd de vérité.
— Solal, et tant d’autres comme lui, ne vendent pas de la magie. Ils vendent des promesses. Des promesses séduisantes, impossibles à prouver fausses tant qu’on veut y croire. Ils enveloppent leurs paroles d’un voile doré et accusent ceux qui doutent d’être aveugles ou indignes. Ils offrent du pouvoir, mais seulement à ceux qui les suivent sans questionner.
Merlin fit un geste vers les étagères de son atelier, où s’alignaient des fioles emplies de couleurs chatoyantes, de feuilles séchées aux parfums envoûtants.
— Moi, je ne vends rien d’autre qu’un moment. Juste un instant pour souffler, pour s’arrêter dans la course effrénée de la vie. Un breuvage qui réchauffe le corps et une histoire qui nourrit l’âme. Rien de plus.
Le voyageur baissa les yeux vers l’infusion encore tiède.
— Alors c’est ça, la différence ?
Merlin sourit.
— La différence, c’est l’honnêteté. Je ne te dirai jamais que ma potion guérira ton mal, que mon savoir effacera tes peines. Mais je peux t’offrir un refuge, un instant hors du temps, une parenthèse où tu peux simplement être.
Le voyageur souffla longuement, comme si un poids quittait enfin ses épaules.
— Et c’est suffisant ?
— Parfois, c’est tout ce dont on a besoin.
Merlin et sa Fée
Il était un temps où la Terre respirait au rythme du chant des peuples invisibles.
Sur les sentiers de Brocéliande, là où la brume s’attarde comme un vieux souvenir, certains savent encore percevoir ce que l’Histoire a cru éteindre. Les Hommes, dans leur aveuglement, ont altéré et façonné ce monde à leur image, oubliant l’harmonie qui y régnait autrefois, mais à l’ombre de leurs pas résonne encore l’écho d’autres présences. Elfes, fées, korrigans… ces êtres magiques ont appris à se fondre dans le silence, dissimulés sous l’écorce d’un arbre, derrière un menhir ou une racine. Ce que le regard n’aperçoit plus, le cœur de l’enfant le devine encore.
Aujourd'hui, ce sont les breuvages qui chuchotent à qui sait tendre l'oreille. Chaque gorgée devient un pont tendu entre ce monde et celui que les yeux oublient. On dit que ces potions ne sont pas de simples infusions, mais des reliques d’un temps où l’harmonie liait l’homme à la nature. Dans chaque tasse, il y a un secret, une promesse, celle de renouer avec le Petit Peuple qui se cache encore sous nos pieds, à la frontière de l’invisible.
Je suis Merlin, ou Merzhin en langue bretonne. Des années en arrière, lorsque la forêt était encore plus dense que la mémoire, j’ai rencontré une fée, fragile et blessée par la cruauté des hommes. Ensemble, dans l'intimité des clairières et autour de potions aux parfums enivrants, nous avons guéri nos cœurs et partagé des récits d'antan. Ses breuvages portaient en eux des secrets oubliés.
De ces instants sont nées "Les Potions de Merlin." Plus que de simples boissons, elles sont des portes vers un univers que la raison n’ose plus explorer. Chaque composition raconte une histoire, capture l'essence d'une légende et murmure une vérité cachée. Aujourd'hui, je t’invite, voyageur, à écouter ces récits. Installe-toi. Respire. Laisse-toi emporter.
Le monde moderne ne croit plus en la magie, mais peut-être sauras-tu, toi, retrouver cet émerveillement, ne serait-ce qu’un instant. Car au fond de ta tasse, quelque part entre la première et la dernière gorgée, se cache l'âme d'une fée.
Merlin
À l'orée des grands chênes et des brumes éternelles, une maison de bois respire au rythme de la forêt.
Au cœur du Morbihan, là où la forêt se fait refuge, nous avons ancré notre existence dans une maison de bois, abritée sous les chênes. C’est ici, à l’orée des légendes, que notre petite entreprise familiale a pris racine, nourrie par l’âme bretonne qui imprègne nos cœurs. La Bretagne n’est pas simplement la terre que nous habitons ; elle est un souffle, une mémoire, une âme ancienne qui résonne en nous.
Ce n’est pas un hasard si les mystères de cette région se sont révélés à nous. Autour d’une tasse de chocolat fumant, d’une infusion rare, ou d’un thé dont les notes rappellent des temps oubliés, la légende est venue à nous. Elle s’est glissée dans les paroles d’un conteur, s’est murmurée dans la confidence d’un ami connaissant des sentiers cachés. Peu à peu, elle a pris forme, nous entraînant dans une quête silencieuse, à la recherche de notre propre Graal : un lien intime avec le "Petit Peuple", ces gardiens invisibles des secrets de Brocéliande.
Convaincus que la vraie richesse réside dans le partage, en 2022, nous avons fait le choix de dédier notre passion à la découverte et à la transmission de breuvages d’exception. Chaque gorgée que nous offrons est une invitation à renouer avec un monde ancien, celui où la terre et l’homme respiraient en harmonie, où les légendes faisaient vibrer les cœur.