La danse des années
Le ruisseau murmurait son chant intemporel, glissant entre les rochers tapissés de mousse, ses eaux claires dansant sous les racines torsadées des vieux chênes. Les rayons du soleil, filtrés par un dais de feuillages frémissants, jetaient des éclats d’or mouvants sur la surface, comme des éclats de rire d’un dieu espiègle. Allongée sur une pierre tiédie par l’après-midi, Grisouille, la chatte au pelage tigré, agitait mollement sa queue au gré d’une brise taquine. Ses yeux, mi-clos, scrutaient l’onde avec une gravité feinte, presque comique.
— Pfff... encore un jour qui s’est carapaté sans crier gare, marmonna-t-elle, sa voix roulant comme un gravier dans le courant.
À quelques pas, accroupie au bord de l’eau, Petite Plume effleurait du bout des doigts les pensées sauvages et les herbes frêles, leurs tiges vibrant doucement sous sa caresse. Une mèche de ses cheveux, dorée comme le blé mûr, s’échappait de sa tresse et dansait dans la lumière. Elle releva les yeux vers Grisouille, un sourire paisible ourlant ses lèvres, aussi léger qu’une plume d’oiseau.
— Un jour qui s’est carapaté ? répéta-t-elle, une lueur amusée dans le regard.
— Oui, un jour de plus, un jour de moins, grogna Grisouille, étirant une patte avec une nonchalance étudiée. Le temps me glisse entre les coussinets comme une anguille. À peine je cligne des yeux, la matinée s’est envolée, le midi s’est éclipsé, et le soir me nargue déjà. Pas eu le temps de pourchasser un papillon, ni de m’offrir une sieste digne de ce nom. C’est toujours demain, demain, demain… et quand demain pointe son museau, il est déjà hier.
Petite Plume s’assit en tailleur, sa robe de lin effleurant la mousse humide, ses plis captant des reflets d’émeraude et d’or. Une libellule, aux ailes comme des vitraux, vint se poser un instant près de sa main avant de s’envoler dans un frisson d’azur.
— C’est drôle que tu dises ça aujourd’hui, Grisouille, murmura-t-elle, sa voix aussi douce que le murmure du ruisseau. Parce que vois-tu, aujourd’hui, c’est le jour où j’ai vu le jour.
Grisouille dressa une oreille, ses yeux s’écarquillant comme deux lunes pleines.
— Quoi ? Ton anniversaire ?! s’exclama-t-elle, bondissant à demi sur sa pierre. Et tu ne fais pas la fête ? Pas de festin de sardines grillées, pas de licornes cabriolantes, pas même une goutte de potion pétillante pour faire danser les étoiles ?
La fée laissa échapper un rire, si léger qu’il semblait tissé de fils d’arc-en-ciel, caressant les fougères et faisant frissonner les herbes autour d’elle.
— Les années, je ne les compte pas comme des cailloux qu’on entasse dans une poche, répondit-elle. Je les écoute, je les ressens. Elles sont comme des chansons que le vent transporte.
Grisouille plissa le museau, perplexe, sa queue battant l’air avec une pointe d’impatience.
— Écouter une année ? grogna-t-elle. Une année, ça fait pshht et elle s’échappe comme une souris dans un buisson ! Comment veux-tu entendre un truc qui file plus vite qu’un éclair ?
Petite Plume inclina la tête, ses yeux pétillant d’une sagesse malicieuse.
— Pas si tu l’écoutes avec le cœur, petite tigresse. Chaque année est un souffle, pas un simple chiffre gravé dans la pierre. Certaines années te frôlent, légères comme une plume d’oie. D’autres t’ébranlent, comme un orage d’été. Mais toutes, sans exception, laissent une trace en toi – un éclat, une cicatrice, une chanson. Ce n’est pas le temps qui t’emporte, Grisouille. C’est toi qui grandis à travers lui.
Grisouille s’étira longuement, ses griffes effleurant la pierre chaude, ses yeux mi-clos réfléchissant la lumière comme des lacs d’émeraudes. Les mots de Petite Plume, doux comme une brise d’automne, s’infiltraient en elle, apaisants, presque ensorcelants.
— Tu veux dire… que le temps ne me vole rien ? Qu’il me sculpte, comme l’eau use la pierre pour en faire un galet lisse ?
— Exactement, répondit Petite Plume, son sourire s’élargissant. Grandir, ce n’est pas t’éloigner de qui tu es. C’est te rapprocher de celle que tu deviens. Comme une étoile qui, après des siècles d’hésitation, accepte enfin de briller de tout son éclat.
Grisouille émit un petit grognement, mi-amusé, mi-boudeur, mais une lueur nouvelle dansait dans ses prunelles.
— Mouais… mais si je me rapproche trop de moi-même, je risque de ronronner comme un chaton gavé de pâtée. Et ça, ma chère, c’est catastrophique pour ma réputation de félin farouche.
Petite Plume éclata d’un rire clair, posa une main délicate sur le dos de Grisouille, ses doigts glissant sur son pelage comme on caresse la terre après une pluie d’été. Une chaleur douce émanait de son geste, comme si le soleil lui-même s’était attardé dans sa paume.
— Tu peux ronronner sans perdre ta sauvagerie, petite tigresse, murmura-t-elle. L’essentiel, ce n’est pas de courir après le temps, ni de le laisser te fuir. C’est de danser avec lui, de tisser tes pas dans son rythme.
Grisouille tourna une oreille vers le ruisseau, où le chant de l’eau semblait répondre à celui de la fée. Elle laissa échapper un soupir, plus doux cette fois, presque un ronronnement déguisé.
— Bon, d’accord, concéda-t-elle, ses moustaches frémissant d’une malice contenue. Aujourd’hui, je vais danser. Pas trop longtemps, hein, faut pas exagérer. Juste assez pour fêter ton souffle… et peut-être attraper un papillon en chemin.
Et sous les frondaisons frissonnantes, dans la lumière dorée d’un après-midi suspendu entre l’été et l’éternité, le ruisseau poursuivit son chant. Entre le glouglou des eaux et le bourdonnement discret des libellules, on crut entendre, porté par la brise, le plus infime des ronronnements – un secret partagé entre une fée, une chatte, et le temps qui, pour une fois, semblait ralentir pour les écouter.
Merlin et sa Fée
Il était un temps où la Terre respirait au rythme du chant des peuples invisibles.
Sur les sentiers de Brocéliande, là où la brume s’attarde comme un vieux souvenir, certains savent encore percevoir ce que l’Histoire a cru éteindre. Les Hommes, dans leur aveuglement, ont altéré et façonné ce monde à leur image, oubliant l’harmonie qui y régnait autrefois, mais à l’ombre de leurs pas résonne encore l’écho d’autres présences. Elfes, fées, korrigans… ces êtres magiques ont appris à se fondre dans le silence, dissimulés sous l’écorce d’un arbre, derrière un menhir ou une racine. Ce que le regard n’aperçoit plus, le cœur de l’enfant le devine encore.
Aujourd'hui, ce sont les breuvages qui chuchotent à qui sait tendre l'oreille. Chaque gorgée devient un pont tendu entre ce monde et celui que les yeux oublient. On dit que ces potions ne sont pas de simples infusions, mais des reliques d’un temps où l’harmonie liait l’homme à la nature. Dans chaque tasse, il y a un secret, une promesse, celle de renouer avec le Petit Peuple qui se cache encore sous nos pieds, à la frontière de l’invisible.
Je suis Merlin, ou Merzhin en langue bretonne. Des années en arrière, lorsque la forêt était encore plus dense que la mémoire, j’ai rencontré une fée, fragile et blessée par la cruauté des hommes. Ensemble, dans l'intimité des clairières et autour de potions aux parfums enivrants, nous avons guéri nos cœurs et partagé des récits d'antan. Ses breuvages portaient en eux des secrets oubliés.
De ces instants sont nées "Les Potions de Merlin." Plus que de simples boissons, elles sont des portes vers un univers que la raison n’ose plus explorer. Chaque composition raconte une histoire, capture l'essence d'une légende et murmure une vérité cachée. Aujourd'hui, je t’invite, voyageur, à écouter ces récits. Installe-toi. Respire. Laisse-toi emporter.
Le monde moderne ne croit plus en la magie, mais peut-être sauras-tu, toi, retrouver cet émerveillement, ne serait-ce qu’un instant. Car au fond de ta tasse, quelque part entre la première et la dernière gorgée, se cache l'âme d'une fée.
Merlin
À l'orée des grands chênes et des brumes éternelles, une maison de bois respire au rythme de la forêt.
Au cœur du Morbihan, là où la forêt se fait refuge, nous avons ancré notre existence dans une maison de bois, abritée sous les chênes. C’est ici, à l’orée des légendes, que notre petite entreprise familiale a pris racine, nourrie par l’âme bretonne qui imprègne nos cœurs. La Bretagne n’est pas simplement la terre que nous habitons ; elle est un souffle, une mémoire, une âme ancienne qui résonne en nous.
Ce n’est pas un hasard si les mystères de cette région se sont révélés à nous. Autour d’une tasse de chocolat fumant, d’une infusion rare, ou d’un thé dont les notes rappellent des temps oubliés, la légende est venue à nous. Elle s’est glissée dans les paroles d’un conteur, s’est murmurée dans la confidence d’un ami connaissant des sentiers cachés. Peu à peu, elle a pris forme, nous entraînant dans une quête silencieuse, à la recherche de notre propre Graal : un lien intime avec le "Petit Peuple", ces gardiens invisibles des secrets de Brocéliande.
Convaincus que la vraie richesse réside dans le partage, en 2022, nous avons fait le choix de dédier notre passion à la découverte et à la transmission de breuvages d’exception. Chaque gorgée que nous offrons est une invitation à renouer avec un monde ancien, celui où la terre et l’homme respiraient en harmonie, où les légendes faisaient vibrer les cœur.