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Le conseil de Merlin
Ce matin-là, le soleil s’étira avec paresse sur l’atelier des Potions de Merlin, laissant filtrer des rayons timides entre les feuillages dansants. Petite Plume, habituée à se réveiller avec les murmures du vent, sentit pourtant un vide étrange l’envelopper dès qu’elle ouvrit les yeux. Elle tourna la tête, cherchant l’ombre familière de Merlin. Son côté du lit était encore tiède, mais il était déjà parti.
Ce n’était pas dans ses habitudes. Intriguée, elle glissa ses pieds nus sur le parquet encore frais et quitta la chambre. L’air matinal effleura sa peau tandis qu’elle longeait les couloirs silencieux, suivant une intuition qui battait à l’unisson de son cœur.
Elle le trouva sur le perron, assis sur la première marche, le regard perdu dans l’horizon où l’aurore étendait ses voiles dorés. Il semblait figé, comme si le monde autour de lui s’était suspendu.
Petite Plume s’approcha doucement et posa une main sur son épaule.
« Merlin ? » murmura-t-elle, la voix empreinte de douceur, comme pour ne pas troubler l’équilibre fragile de cet instant.
Il tourna lentement la tête. Son sourire, discret, ne parvenait pas à masquer l’ombre d’inquiétude qui voilait son regard.
« Ah, Petite Plume… » souffla-t-il. « Il y a tant de choses qui m’occupent l’esprit. Les gobelins attendent leur paiement pour l’atelier, et sans les nouveaux ingrédients des korrigans, nos potions risquent de perdre leur magie. »
Un frisson imperceptible parcourut Petite Plume, mais elle n’était pas femme à se laisser abattre par les vents contraires. Elle s’agenouilla près de lui, plongeant ses yeux dans les siens.
« Et nos voyageurs ? » demanda-t-elle, sa voix pleine de douceur. « Sont-ils toujours aussi nombreux ? »
Merlin soupira, observant les herbes hautes frémir sous la caresse du vent.
« Non… Ils se font plus rares. Peut-être que la magie s’efface peu à peu de leurs pensées, ou qu’ils se laissent happer par d’autres merveilles. »
Petite Plume resta silencieuse un instant. Puis, relevant le menton, une étincelle de détermination s’alluma dans son regard.
« Nous ne pouvons pas laisser ce monde s’éteindre. Il est temps d’agir. »
Merlin leva les yeux vers elle, intrigué.
« Que proposes-tu ? »
« Nous devons rassembler le conseil. Grisouille, Wikimouse, toi et moi. Ensemble, nous trouverons une solution. »
Un silence s’installa, bercé par le chant lointain d’un merle. Puis, lentement, Merlin hocha la tête, un sourire plus sincère fleurissant sur ses lèvres.
« Très bien, Petite Plume… Réunissons-nous. La magie ne se laisse pas éteindre si facilement.
Autour de la grande table de bois, éclairée par la danse lente des bougies, le conseil était réuni. Merlin, en bout de table, la mâchoire serrée, laissait son regard dériver vers l’horizon à travers la fenêtre entrouverte. Petite Plume, assise à ses côtés, effleurait du bout des doigts le rebord de la table, songeuse. Grisouille, perchée sur un tabouret, fouettait l’air de sa queue avec une impatience féline, tandis que Wikimouse, d’un calme presque solennel, observait la scène avec son habituel pragmatisme.
Merlin expira lentement, puis rompit le silence d’une voix grave, chargée d’inquiétude. — Nous avons un problème.
Nul besoin d’en dire plus. Le poids de ses mots s’abattit sur la pièce comme un vent froid.
— Les voyageurs s’éloignent, poursuivit-il après un instant. Ils s’égarent dans leur course effrénée, oublient la magie, oublient même ce qu’elle pouvait leur offrir. D’autres distractions les happent, d’autres préoccupations les enchaînent. Et nous… nous restons là, à les voir disparaître. »
Petite Plume leva doucement les yeux vers lui, son regard brumeux traversé d’une tendre mélancolie. — Peut-être qu’ils n’ont pas cessé d’y croire, souffla-t-elle. Peut-être qu’ils ont simplement oublié… oublié de lever les yeux, de s’arrêter, de respirer. Le monde est si pressé…
Grisouille émit un gloussement félin, roulant des yeux avant de bondir sur la table, sa queue battant l’air avec espièglerie. — Pff, toujours les mêmes rengaines ! grommela-t-elle. Ils sont pressés, oui, et alors ? Justement, c’est pour ça qu’ils viennent ! Parce que leur monde est trop bruyant, trop gris. Sauf qu’aujourd’hui, ils ne savent même plus comment savourer un thé de repos… c’est dire à quel point ils sont perdus !
D’un froncement de museau, Wikimouse coupa net l’élan moqueur de Grisouille. — Ce n’est pas qu’une question de distractions, répliqua-t-elle avec sérieux. C’est plus profond. Ils sont prisonniers de leurs journées trop remplies, de leurs obligations, de leurs peurs aussi. Ils ne savent plus comment écouter leur propre cœur.
Grisouille croisa les pattes, mais ne rétorqua pas immédiatement. Dans l’ombre vacillante des bougies, ses yeux verts brillaient d’un éclat plus songeur qu’elle ne l’aurait voulu. — Eh bien, si c’est ça, fit-elle finalement en se redressant, c’est à nous de leur montrer. De leur rappeler que la magie est là, partout. Dans le vent, dans une infusion qui danse sous l’eau chaude… dans un sourire, peut-être.
Wikimouse acquiesça lentement. — Alors, trouvons une façon de leur tendre la main. Pas en criant plus fort, pas en les secouant. Mais en leur offrant un espace où tout peut ralentir. Un instant suspendu, une porte ouverte vers la magie qu’ils croient disparue.
Merlin réfléchit un instant, sa main glissant sur le bois veiné de la table. Il allait répondre, mais Wikimouse reprit, sa voix s’assombrissant légèrement. — Il y a autre chose. Une ombre. Une force qui agit dans l’obscurité et alimente cet oubli.
Le silence tomba aussitôt. Grisouille cessa de faire la maligne. Petite Plume plissa les yeux, attentive. Merlin se redressa, son regard devenu plus acéré. — Explique-toi, Wikimouse.
— Un sort, murmura la petite créature. Une influence subtile, insidieuse. Quelqu’un – ou quelque chose – s’arrange pour que les voyageurs détournent les yeux de la magie, qu’ils ne puissent plus la percevoir. Comme une brume qui voile leur esprit.
Grisouille siffla entre ses crocs. — Un méchant, carrément ?! Voilà qui devient intéressant…
Elle se frotta les pattes, une lueur malicieuse dans le regard. — J’espère qu’il est prêt. Parce que s’il joue contre nous, il va vite comprendre qu’on ne plaisante pas avec la magie des Potions de Merlin…
Le conseil, après quelques moments de silence, s'intensifia dans les éclats de voix et les éclats de rire. Grisouille, perchée sur le rebord de la fenêtre, ronronnait comme une machine à idées, son regard pétillant d'une malice contagieuse.
"Écoutez, écoutez ! Pourquoi ne pas organiser une grande fête des potions ?" miaula-t-elle, en sautillant sur place. "Un festin, des potions à foison, et surtout des rires ! Si les voyageurs viennent goûter, ils reviendront assurément !"
Petite Plume sourit doucement, posant une main sur l'épaule de Merlin, qui semblait plongé dans une réflexion bien plus profonde que celle de Grisouille.
"Une fête, oui... mais ce n'est pas tout. Nous devons leur rappeler qu'ils sont les gardiens de cet univers magique, que nos potions ne vivent que parce qu'ils nous accordent leur attention, leur foi, leur curiosité." Sa voix, douce mais claire, se posa dans l'air comme une brise légère. "Peut-être que certains d'entre eux se laissent emporter par leurs soucis quotidiens, oubliant un peu de rêver. Mais tout est question de faire naître à nouveau ce lien, sans pression, juste en leur rappelant que le monde des potions existe et que nous en avons besoin, tout comme eux peuvent en bénéficier."
Un frisson invisible parcourut l'assemblée. Comme si un souffle froid s'était glissé entre eux. Merlin fronça les sourcils, soudainement grave.
"L'Ombre de l'Oubli..." murmura-t-il.
Grisouille s'arrêta net, sa queue gonflant légèrement. "Encore elle ? Mais elle est insidieuse ! Elle ne fait pas de bruit, ne brise rien... Elle efface. Juste un peu, juste assez pour que l'on oublie pourquoi on aimait rêver."
"Et c'est bien là le danger", reprit Wikimouse. "L'oubli n'est pas un fracas. C'est un silence qui s'installe. Un murmure qui dit 'cela n'a jamais existé'. Si nous n'agissons pas, si nous ne rappelons pas aux voyageurs l'importance de l'enchantement, alors ce monde s'effacera, doucement, sans bruit, comme un livre dont on tourne la dernière page sans jamais le rouvrir."
Merlin se leva lentement, la flamme revenue dans son regard. "Alors, il nous faut les inviter dans ce voyage. Leur offrir une porte vers l'imaginaire, mais une porte qu'ils peuvent franchir à leur rythme, selon leur envie."
Petite Plume sourit de tout cœur. "Oui, un monde où l’on choisit de rêver, un monde vivant de la douceur et des rêves partagés."
Grisouille, un peu boudeuse, finit par céder. "Eh bien, s'ils veulent entrer dans ce monde magique, il leur suffira de fermer les yeux et d'ouvrir le cœur, non ? Bon, d'accord, je suis pour."
Wikimouse hocha la tête, satisfaite. "Et peut-être que, chaque fois qu'un voyageur prendra une gorgée de nos potions, un petit rayon de magie échappera, se faufilant dans le monde pour raviver l'émerveillement."
"Oui", ajouta Merlin, "car les voyageurs sont aussi nos alliés. Ce n'est pas une question de magie imposée, mais d'une magie partagée. Et tant qu’ils se souviendront, tant qu’ils porteront en eux cette étincelle, l'Ombre de l'Oubli ne pourra jamais totalement nous atteindre."
Le vent souffla légèrement à travers les fenêtres ouvertes de l'atelier, comme pour confirmer leurs paroles.
"Nous avons trouvé notre chemin", dit Petite Plume, posant une main légère sur la table du conseil. "Un monde vivant et vibrant, où chacun, à sa manière, participe à l'enchantement."
Le soleil se leva à l’horizon, illuminant la pièce de ses rayons dorés. La solution était simple, mais belle : rappeler aux voyageurs qu'ils sont les co-créateurs de ce monde magique, et que l’imaginaire a besoin de leur souffle pour perdurer.
Et ainsi, le petit univers des Potions de Merlin retrouva son éclat, grâce à la sagesse et la douceur de ceux qui croyaient en lui, mais aussi à ceux qui, un jour, choisirent de venir rêver à ses côtés.
… et nous ne vous remercierons jamais assez de parcourir ce chemin à nos côtés.
Le secret des Korrigans
Il y a bien longtemps, avant que Grisouille ne vienne ronronner dans l’atelier de Merlin, avant même que les potions ne prennent leur place sur les étagères, il y avait Petite Plume.
Elle n’était pas encore la fée que l’on connaît aujourd’hui, mais son cœur battait déjà au rythme de la forêt. Ses pas étaient légers comme le vent sur la mousse, et ses mains savaient caresser l’écorce des chênes sans réveiller leur sommeil.
Les korrigans, eux, la regardaient de loin. Cachés sous les racines, dissimulés derrière les fougères, ils chuchotaient entre eux :
— Elle entend ce que les autres ignorent…
— Elle sent la magie dans chaque feuille…
— Mais peut-on lui confier un secret ?
Car les korrigans sont joueurs, mais ils sont aussi gardiens de mystères. Et offrir un secret, c’est s’exposer à la trahison.
Ils décidèrent donc de la mettre à l’épreuve.
Une nuit sans lune, alors que la forêt dormait, ils firent tomber sur son chemin une plume. Pas une plume ordinaire : elle était d’un bleu si profond qu’on y voyait danser des reflets d’étoiles.
Petite Plume s’arrêta net. Elle se baissa, la prit entre ses doigts, et aussitôt, une voix souffla à son oreille :
— Si tu la gardes pour toi, elle te montrera le chemin caché. Si tu la donnes sans réfléchir, elle s’envolera à jamais.
Elle leva les yeux. Pas une âme en vue. Pourtant, elle savait qu’on l’observait.
Alors elle prit la plume, la glissa contre son cœur et poursuivit son chemin en silence.
Les korrigans, tapis dans l’ombre, hochèrent la tête.
— Elle n’a pas parlé…
— Elle n’a pas cherché à comprendre…
— Elle a écouté.
Mais une épreuve ne suffit pas à gagner la confiance du Petit Peuple.
Ils décidèrent donc de la tester une seconde fois.
Quelques jours plus tard, un ruisseau, jusque-là limpide, se troubla sous ses yeux. L’eau se fit sombre, opaque, et en son sein dansaient des lueurs dorées.
Petite Plume s’agenouilla au bord et murmura :
— Montre-moi ce que tu veux dire.
Les lueurs se dissipèrent peu à peu, et sous la surface, elle vit alors… son propre reflet. Mais derrière elle, flottait une ombre rieuse, un korrigan au regard malicieux qui disparaissait aussitôt qu’elle clignait des yeux.
Elle ne se retourna pas.
Elle sourit simplement et murmura :
— Merci.
Le ruisseau redevint clair.
Les korrigans, cachés entre les roseaux, se regardèrent.
— Elle n’a pas cherché à attraper l’image…
— Elle n’a pas eu peur…
— Elle a compris.
Ils décidèrent alors qu’elle était prête.
Une nuit de pleine lune, alors que le vent chuchotait entre les branches, Petite Plume sentit un frisson parcourir l’air.
Elle suivit l’appel, ses pas guidés par une force invisible, et arriva au cœur de la forêt.
Là, entre les racines noueuses d’un vieux chêne, se dressait un cercle de korrigans. Ils l’attendaient.
Le plus ancien d’entre eux s’avança, sa barbe argentée brillant sous la lueur des étoiles.
— Petite Plume, murmura-t-il, nous t’avons observée. Tu n’as pas cherché à percer nos mystères, mais tu les as accueillis. Tu n’as pas voulu posséder, mais tu as écouté.
Il leva la main, et soudain, la plume bleue qu’elle avait trouvée s’éleva dans les airs.
— Voici notre premier secret : les mots n’ont pas toujours besoin d’être dits. Certains se déposent comme la rosée sur une feuille, et seuls ceux qui savent écouter les entendent.
La plume tourna doucement, puis vint se poser sur l’épaule de Petite Plume.
Elle sentit alors une chaleur douce se répandre en elle, comme un fil invisible tissé entre son cœur et la forêt tout entière.
Elle inclina la tête.
— J’en prendrai soin.
Le vieux korrigan sourit, et d’un battement de cils, lui et les siens disparurent.
Depuis ce jour, Petite Plume n’eut plus jamais besoin de chercher les korrigans. Elle sentait leur présence dans le souffle du vent, dans le craquement des feuilles sous ses pas.
Et lorsqu’elle murmurait à l’oreille des arbres, les secrets qu’ils lui confiaient n’étaient jamais perdus.
Depuis que les korrigans lui avaient confié leur premier secret, Petite Plume savait que la magie ne se cachait pas toujours dans le visible. Elle s’entendait dans le bruissement des feuilles, se devinait dans la caresse du vent, se révélait à ceux qui savaient attendre.
Mais encore fallait-il apprendre à l’écouter.
Un matin brumeux, alors qu’elle se promenait près du vieux chêne où les korrigans lui étaient apparus, un parfum inconnu flotta dans l’air. Un mélange troublant, à la fois sucré et piquant, chaleureux et mystérieux. Elle ferma les yeux.
— Que me murmures-tu, forêt ?
Le vent se leva, effleurant sa peau, et elle sentit une autre fragrance s’ajouter à la première. Une pointe boisée, une touche de miel, une chaleur réconfortante. Son cœur s’accéléra. Ce n’était plus seulement un parfum. C’était une émotion, un souvenir qui cherchait à naître.
Petite Plume ouvrit les yeux et vit, posé sur une pierre, un petit sac de toile. Aucun bruit n’avait trahi son arrivée, mais elle savait à qui elle devait ce présent.
Elle le dénoua avec précaution. À l’intérieur, un mélange étrange de feuilles, d’écorces et de fleurs qu’elle ne reconnaissait pas entièrement. Mais son intuition la guida : elle les porta à son nez, inspira profondément, et le secret des korrigans commença à se dévoiler.
Ce n’était pas un simple assortiment d’ingrédients. C’était une harmonie pensée comme une mélodie, chaque note venant répondre à une autre, créant une histoire que seul un palais attentif pouvait entendre.
— Comprends-tu, Petite Plume ? souffla une voix invisible. Tout est question d’équilibre.
Et alors, elle sut.
Les saveurs avaient un langage. Elles pouvaient raconter des histoires, réveiller des souvenirs enfouis, provoquer des émotions. Elle pouvait, elle aussi, tisser ces récits à travers ses créations, offrir à ceux qui goûteraient ses potions un voyage au-delà du simple plaisir gustatif.
Ce jour-là, une nouvelle flamme s’alluma en elle.
Dès lors, elle passa des heures dans sa bibliothèque, dévorant les anciens manuscrits qui parlaient des plantes et de leurs secrets. Elle apprit à observer les moindres détails : la texture d’une feuille, la couleur d’une écorce, la façon dont une fleur s’ouvrait au matin. Elle comprit que chaque ingrédient portait en lui une mémoire, une âme qui ne demandait qu’à être racontée.
Puis vinrent les essais, les mélanges, les infusions où elle laissait parler son instinct. Parfois, l’accord était parfait du premier coup, comme une étoile qui trouvait immédiatement sa place dans le ciel. D’autres fois, elle devait recommencer, écouter encore, comprendre ce que la potion voulait vraiment dire.
Mais toujours, les korrigans l’observaient en silence.
Et un soir, alors qu’elle venait d’achever une recette où dansaient la douceur de la vanille, la chaleur des épices et la rondeur des fruits, une petite silhouette surgit de l’ombre.
Un korrigan, minuscule et malicieux, s’accouda sur le bord de sa table. Il huma la vapeur qui s’élevait de la tasse, plissa les yeux et murmura :
— Tu as entendu, enfin.
Il prit une gorgée, ferma les paupières, et un sourire étira ses lèvres.
— Voilà qui est digne d’un secret.
Puis, sans un bruit, il disparut dans la nuit, ne laissant derrière lui qu’un éclat de rire et une plume dorée posée sur la table.
Petite Plume la prit entre ses doigts, un frisson courant le long de sa peau.
Les korrigans venaient de lui offrir leur plus grand cadeau : leur confiance.
Dès lors, chaque potion née sous ses mains ne fut plus simplement un breuvage. C’était un voyage, une émotion, un murmure du Petit Peuple qu’elle traduisait en saveurs.
Et si tu écoutes bien, lorsque tu plonges tes lèvres dans l’une de ses créations, peut-être entendras-tu, toi aussi, la voix des korrigans te chuchoter une histoire…
Un éclat dans la nuit
La nuit s’étirait sur la forêt de Brocéliande, tissée d’ombres et de soupirs. Une brume légère rampait entre les racines noueuses, et le vent chuchotait des secrets anciens aux branches endormies. C’était une nuit où l’on ne s’aventurait pas sans raison. Et pourtant, quelque part, un cœur battait plus fort que les autres.
Blottie sous un amas de ronces, une minuscule silhouette tremblait. Une chatonne, pas plus grande qu’une pomme, pelage gris ébouriffé, museau taché de boue. Elle avait été abandonnée là, livrée aux murmures inquiétants des bois profonds. Le monde, qu’elle ne connaissait que depuis quelques lunes, lui avait déjà appris une dure leçon : il pouvait être cruel.
Elle avait miaulé, longtemps, appelant une mère qui ne viendrait plus. Puis, son petit corps épuisé avait cessé de lutter. Seuls ses yeux, deux lueurs de jade dans la nuit, brillaient encore d’une flamme farouche.
C’est alors qu’elle le vit.
Une silhouette drapée dans une cape sombre avançait lentement entre les troncs. Un bâton noueux à la main, une barbe où s’accrochaient des filaments d’étoiles. Merlin.
Le vieux mage n’était pas venu pour elle. Son esprit était emporté ailleurs, vers une lumière plus douce, plus familière. Il pensait à Petite Plume, à ses yeux emplis de songes, à sa voix qui savait parler au vent et aux rivières. Lui, qui croyait avoir tout donné à la magie et aux légendes, se surprenait parfois à rêver d’un destin moins solitaire.
Mais il y eut ce frisson. Cette infime vibration dans l’air, presque imperceptible. Il s’arrêta.
Derrière les ronces, un regard l’observait. Un regard qui ne suppliait pas. Un regard qui défiait.
Le vieux mage soupira. Il n’était pas un homme de tendresse, ni de ces âmes qui s’attendrissent devant la faiblesse. Il connaissait la rudesse du monde et la nécessité de la survie. Pourtant, il fit un pas. Puis un autre.
La chatonne ne bougea pas. Elle ne recula pas non plus. Elle le jaugea, le museau levé, prête à sortir griffes et crocs si besoin était.
Merlin s’accroupit lentement, posant une main ouverte devant elle. Les mots, il le savait, n’avaient pas de prise sur ceux qui ont trop souffert.
Il y eut un long silence. Puis, d’un mouvement sec, la chatonne bondit hors de son nid d’épines et grimpa sur son bras, jusqu’à son épaule. Elle s’y percha, en équilibre, le poil hérissé, la queue fouettant l’air.
Merlin haussa un sourcil. "Eh bien, petite, tu as du caractère."
Un minuscule miaulement lui répondit. Presque un reproche. Comme si elle lui disait : "Tu as tardé. Mais puisque tu es là…"
Le vieux mage secoua la tête, amusé par tant d’audace. Sans un mot de plus, il reprit sa marche, la chatonne solidement campée sur son épaule.
Ainsi commença leur étrange alliance. Car si Merlin avait toujours cru que son cœur ne pouvait battre que pour les légendes et la belle Petite Plume, cette minuscule boule de fourrure s’y était installée sans permission. Et il n’aurait su dire, en cette nuit où la brume se dissipait, lequel des deux avait vraiment choisi l’autre.
Les deux cuillères magiques
Dans l’arrière-boutique des Potions de Merlin, sous une pile de parchemins froissés et entre deux caisses de plantes séchées, Grisouille faisait l’inventaire. Ce n’était pas une mince affaire, car Merlin avait une conception… disons, créative de l’organisation.
— Trois fioles de brume lunaire… six sachets de pétales de fée… un chaudron qui sent le brûlé… Et tiens, tiens… ronronna Grisouille en plissant les yeux. Deux cuillères magiques de trop dans le stock.
D’un bond gracieux, elle grimpa sur l’étagère la plus haute et interpella Merlin, qui feuilletait un grimoire avec un air trop concentré pour être honnête.
— Merlin…
— Hmmm ? répondit-il sans lever les yeux.
— Il y a DEUX cuillères magiques en trop dans le stock.
Merlin fit mine de ne pas entendre, mais un léger tic nerveux agitait déjà sa paupière gauche.
— Merlin… insista Grisouille, cette fois en sautant sur la table pour le fixer droit dans les yeux.
— Oh, regarde l’heure ! s’exclama soudain Merlin en refermant son livre d’un claquement sec. J’ai une affaire de la plus haute importance à régler ! Quelque chose de… euh… crucial pour l’équilibre cosmique !
— Tu as oublié de les mettre dans un colis, c’est ça ?
— Absolument pas ! Quelle idée ! Je suis un mage sérieux, responsable, méthodique !
— Alors pourquoi elles sont encore là au lieu d’être chez la cliente ?
— Eh bien… euh… comment dire…
À cet instant précis, un parchemin virevolta dans la pièce et alla se coller sur le nez de Merlin. Il le retira lentement et lut à voix haute :
« Bonjour, j’ai bien reçu mon colis mais… il manque deux cuillères magiques. Que dois-je faire ? »
Un silence s’installa. Grisouille laissa échapper un miaulement triomphant.
— L’équilibre cosmique, hein ?
— J’allais justement lui écrire ! s’exclama Merlin en brandissant une plume. Juste après mon affaire urgente…
— Qui consistait à fuir tes responsabilités ?
— Je préfère dire "gérer les priorités de manière stratégique".
Grisouille secoua la tête.
— Bon, et maintenant ?
— Eh bien, on va lui envoyer les cuillères… avec un petit mot pour rattraper le coup.
Merlin saisit une nouvelle feuille de parchemin et, après quelques hésitations, rédigea :
« Chère Voyageuse, il semblerait que la magie ait décidé de jouer à cache-cache avec vos cuillères. Par bonheur, Grisouille veille au grain et m’a rappelé à l’ordre. Elles s’envolent vers vous sur-le-champ ! Puissent-elles toujours doser la juste quantité de merveilles dans vos potions. »
Il roula le parchemin et le confia à Cymo, qui hennit joyeusement avant de filer vers l’horizon avec le précieux paquet.
Grisouille, elle, croisa les pattes et fixa Merlin d’un air faussement sévère.
— Alors, quelle est la morale de cette histoire ?
Merlin réfléchit un instant, puis déclara solennellement :
— Quand on fait une bêtise, mieux vaut en faire un conte !
Grisouille ronronna de rire. Finalement, tout était bien qui finissait bien… et avec une touche de magie en prime.
Ainsi, la cliente reçut ses cuillères, Merlin sauva la face (de justesse) et Grisouille put ajouter une nouvelle anecdote à sa collection d’histoires sur la légendaire désorganisation du mage.
Et n'oublions pas de remercier Séverine pour l'inspiration de ce petit conte qui nous permet de rappeler que souvent, les légendes les plus invraisemblables contiennent toujours une part de vérité.
Les lilifées et le chêne fou
Au plus profond de la forêt enchantée, juste derrière l’atelier de Merlin, vivait une minuscule communauté que bien peu de voyageurs avaient remarquée. Il s’agissait des Lillifées, un peuple d’êtres pas plus grands qu’une noisette, aux ailes translucides et aux cœurs débordant de générosité. Invisibles à l’œil distrait, ils veillaient sur les lieux, réparant en secret les feuilles déchirées, soufflant doucement sur les flammes trop vives et chuchotant des berceuses aux bourgeons endormis.
Un soir où Merlin expérimentait une nouvelle potion – une mixture supposée encourager la sagesse des chênes millénaires – un malencontreux éternuement de Grisouille provoqua une catastrophe. La fiole que le mage tenait entre ses doigts trembla et s’échappa, se brisant au pied d’un vieux chêne noueux.
Instantanément, une onde verte pulsa dans l’air. Le tronc se mit à enfler, ses branches s’étirèrent comme des tentacules en folie, et bientôt, des lianes épaisses commencèrent à enserrer l’atelier de Merlin. Les racines, elles, se faufilaient déjà sous la porte.
— Par la barbe de Brocéliande ! pesta Merlin en tentant de lancer un contre-sort.
Mais rien n’y fit. Le chêne poussait à une vitesse incontrôlable, son écorce palpitant comme si elle avait son propre souffle. Déjà, une branche s’était glissée à travers la fenêtre pour chaparder un flacon d’élixir de framboise.
— Je ne peux pas l’atteindre ! Il grandit trop vite !
Les Lillifées, perchées dans leur clairière secrète, observaient la scène avec effroi. Jonquille, la plus vive d’entre elles, fendit l’air d’un battement d’ailes.
— C’est à nous d’agir !
— Mais comment ? demanda Violette en serrant ses petites mains.
— Nous sommes trop petites pour arrêter un arbre pareil ! ajouta Marguerite.
Jonquille plissa les yeux.
— Justement ! Nous sommes assez petites pour passer là où Merlin ne le peut pas.
Un frémissement parcourut la troupe. Puis, à l’unisson, elles s’élancèrent vers le chêne devenu fou.
Les Lillifées se glissèrent entre les branches agitées, esquivant les vrilles capricieuses, virevoltant avec une adresse qui aurait rendu jaloux le plus agile des colibris. Arrivées au cœur de l’arbre, elles aperçurent une lueur verte vibrer au centre du tronc.
— C’est la potion ! s’exclama Camomille. Elle a été absorbée dans la sève !
— Il faut l’apaiser, murmura Violette.
— Alors, utilisons ce que nous avons de mieux : la magie de la forêt, déclara Jonquille.
Les petites fées se dispersèrent. Certaines soufflèrent du pollen de sommeil sur les feuilles folles, tandis que d’autres tressèrent de fines cordelettes de lierre pour freiner l’expansion des branches. Bleuet, accompagnée d’un essaim de lucioles, éclaira la voie jusqu’au cœur du tronc.
Enfin, Jonquille prit une minuscule goutte de rosée infusée de chant des fées et la laissa tomber sur la lueur verte. Une onde douce se propagea aussitôt dans l’arbre. Son écorce cessa de frémir. Ses branches, comme assoupies, ralentirent leur course effrénée.
Dans un dernier soupir, le chêne cessa de grandir.
Merlin, qui avait assisté à la scène, secoua la tête, impressionné.
— Voilà une belle leçon, dit-il en se tournant vers Grisouille. On croit toujours que la puissance est dans la taille et la force brute… Mais ce sont les plus petits qui viennent encore de nous sauver la mise.
Grisouille, toujours perchée sur son étagère, plissa les yeux.
— Mouais… Mais la prochaine fois, tu feras tes expériences plus loin de mes moustaches, d’accord ?
Le chant de la sirène
Il était une fois, loin des rivages connus et pourtant tout proche de ceux qui savent rêver, une île que l’on ne trouvait qu’en se perdant. Une île où le vent chantait et où les vagues murmuraient des secrets. On l’appelait l’Île Murmure.
Là vivait une sirène. Non pas une créature à queue d’écailles, prisonnière des flots, mais une femme dont la voix avait le pouvoir d’habiter les silences. Elle s’appelait Hélène, et son chant était si beau qu’il faisait pleurer la mer elle-même.
Pourtant, Hélène était seule. Sa voix portait loin, si loin qu’elle s’égarait dans l’horizon sans jamais trouver d’oreilles attentives. Les oiseaux s’arrêtaient parfois pour l’écouter, mais ils finissaient toujours par reprendre leur vol. Alors, elle continuait de chanter, offrant ses histoires au vent, espérant qu’un jour quelqu’un les entendrait.
Et c’est là qu’intervint Grisouille la Navigatrice.
Car il faut le dire, Grisouille avait pris la barre du petit esquif de Merlin, convaincue de mener leur expédition avec la majesté d’un capitaine chevronné. Elle prétendait lire les étoiles, mais confondait toujours la Grande Ourse avec une patte de souris.
— Nous sommes presque arrivés ! déclara-t-elle avec assurance.
— Ah ? fit Merlin, en regardant la carte à l’envers. Tu es sûre que l’Archipel des Infusions Perdues se trouve là ?
— Évidemment, grogna Grisouille. Si ce n’était pas le cas, pourquoi serions-nous ici ?
Une logique implacable.
Et c’est ainsi que, par le caprice du destin (ou de Grisouille, ce qui revient souvent au même), Merlin mit pied sur l’Île Murmure.
Là, il entendit une voix. Une voix qui semblait tissée d’étoiles filantes et de soupirs oubliés. Une voix si belle qu’elle suspendait le temps.
Il suivit le chant jusqu’à une haute falaise, où une femme se tenait face à l’océan.
— Tu pleures la mer ? demanda-t-il.
Hélène sursauta.
— Je lui parle, répondit-elle. Mais elle ne me répond jamais.
Elle tourna un regard las vers l’horizon, puis ajouta d’une voix plus basse :
— Et elle n’est pas la seule.
Merlin ne dit rien, l’invitant à poursuivre.
— J’ai tant d’histoires à offrir, mais elles se perdent. Les vagues les emportent, les vents les dispersent. Même lorsque les oiseaux s’arrêtent un instant, ils finissent toujours par s’envoler, poursuivant leurs propres voyages. Moi, je reste ici, à chanter dans le vide, espérant que quelqu’un m’écoute. Mais personne ne reste jamais.
Merlin sentit un pincement au cœur. Une voix pareille ne devait pas se perdre.
— Si la mer ne te répond pas, alors trouvons d’autres oreilles pour t’écouter, déclara-t-il.
Il plongea la main dans sa besace et en sortit une fine tablette de pierre lisse, striée de filaments d’argent liquide. Du bout des doigts, il traça des cercles dans les airs, y suspendant des lettres invisibles, comme des constellations.
— Voilà, murmura-t-il en reculant d’un pas. Un sort de transmission. J’appelle ça… un Portail Runique.
Hélène observa le symbole scintiller un instant avant de se figer sous une forme étrange, anguleuse, presque géométrique.
— Et ça… fonctionne comment ?
Merlin haussa un sourcil.
— Oh, c’est très simple. Les Voyageurs n’auront qu’à toucher ce glyphe sur leurs parchemins lumineux et ta voix traversera le temps et l’espace jusqu’à eux.
Hélène plissa les yeux.
— Tu viens d’inventer une magie du futur, c’est ça ?
— Disons que j’ai une bonne avance, répondit-il avec un sourire en coin.
Il tapota du doigt le symbole, satisfait.
— D’ailleurs, il faudra que je trouve un nom plus accrocheur… Sort Runique Codé ? Grimoire Carré ? … QR Code ? Oui, QR Code, ça sonne bien.
À ses pieds, Grisouille, qui s’était entortillée trois fois dans un filet de pêche (mais refusait de l’admettre), ronchonna :
— Hmpf. Encore un truc qui marche mieux que ma boussole.
Alors, pour la première fois depuis longtemps, Hélène sourit. Elle chanta, non plus pour la mer, mais pour tous ceux qui auraient un jour besoin d’entendre une histoire.
Et c’est ainsi que, grâce à une sirène mélancolique, un magicien têtu et un chat de mauvaise foi, les Voyageurs purent, au gré des potions, écouter la voix qui avait su apprivoiser le silence.
Une tornade chez les Gobelins
Dans les profondeurs des souterrains de Brocéliande, là où s’empilent des montagnes de pièces d’or et des coffres scellés de sorts anciens, se trouvait la Banque des Gobelins. Un lieu austère, où le tintement des deniers résonnait comme une mélodie sacrée, et où chaque pièce était comptée, pesée, et chérie plus qu’un trésor légendaire.
C’est là que Grisouille fit irruption.
Tout avait commencé par une simple visite de courtoisie. Merlin, en quête d’un parchemin scellé contre une vieille dette – car même un enchanteur n’échappe pas aux griffes des créanciers – avait laissé Grisouille à l’entrée, avec un simple : « Ne touche à rien. »
Mais demander à une chatte de ne pas jouer, c’est comme demander aux gobelins de renoncer à leur or. Et bientôt, l’ennui la gagna.
D’un bond léger, elle sauta sur un comptoir, observant les gobelins courbés sur leurs registres, l’œil brillant à chaque signature, leurs doigts crochus glissant sur le parchemin comme des serres sur un butin. Aucun ne fit attention à elle. Un affront, selon Grisouille. Alors, elle décida de remédier à cette injustice.
Une patte dans l’encrier. Une trace sur un registre. Deux, trois. Les gobelins froncent les sourcils.
Un saut sur la table. Une pile de pièces roule au sol. Les gobelins se raidissent.
Un petit coup de griffes sur un sac de deniers… et soudain, un raz-de-marée doré déferle sur les dalles de la Banque.
La panique est instantanée. Des gobelins hurlent en tentant de récupérer leur précieux trésor, d’autres se jettent à plat ventre pour sauver des pièces en fuite. Mais Grisouille, elle, tournoie, bondit, danse au milieu de l’or comme une feuille dans le vent. Chaque saut est une invitation au chaos. Chaque ronronnement, une provocation.
Le Grand Banquier Gobelin, un vieux grigou au nez crochu, finit par hurler : « Arrêtez cette créature avant qu'elle ne ruine la banque ! »
Mais c’était trop tard. Le comptoir croulait sous un enchevêtrement de sacs éventrés, les registres baignaient dans l’encre et, pire encore, une partie de la fortune venait de disparaître dans un conduit d’aération. Un gobelin tenta de se jeter à sa poursuite, mais ne récolta qu’un nuage de poussière.
Grisouille, elle, s’arrêta enfin, s’étirant avec nonchalance, comme si elle venait de rendre un immense service.
Merlin, qui venait juste de récupérer son parchemin, posa un regard effaré sur le chaos ambiant.
« Que s’est-il passé ? »
Le Grand Banquier, rouge de fureur, ouvrit la bouche pour accuser, mais Grisouille bondit sur l’épaule de Merlin et frotta doucement sa tête contre la sienne en ronronnant, l’air d’une innocence absolue.
Un silence tomba. Personne n’osait accuser ouvertement la compagne du mage, surtout lorsque celui-ci, perplexe mais ravi de l’accueil, répondit simplement : « Tu as été sage, ma Grisouille ? »
Elle ferma les yeux, ronronnant plus fort. Merlin sourit et tourna les talons. Les gobelins restèrent figés, atterrés, tandis que la silhouette du mage et de sa féline compagne disparaissait dans l’ombre du souterrain.
Derrière eux, les gobelins récupéraient leur or, s’échinant à tout remettre en ordre. Mais certains, en ramassant les pièces tombées, eurent une étrange sensation : Les deniers, pourtant leur bien le plus cher, semblaient soudain moins précieux, noyés dans l’éclat d’un instant de pur désordre. Les gobelins se haussaient sur leurs pieds, leurs doigts crochus effleurant les pièces d’or, comme s’ils cherchaient encore à saisir une part de ce qui leur échappait. Et dans ce petit moment suspendu, où le monde sembla tourner au ralenti, un étrange sentiment s’empara d’eux : celui d’avoir, peut-être, touché quelque chose de plus grand que leur richesse, quelque chose qui n’était ni tangible ni mesurable, mais qui pesait pourtant plus lourd que tout l’or du monde. La liberté, la folie douce, un parfum de vie s’échappant des dédales de la Banque des Gobelins, un souffle qui ne se comptait pas en deniers mais en instants volés au temps.
Et tandis qu’ils s’évertuaient à réparer les dégâts, dans la profondeur des souterrains, un murmure sembla flotter : celui de Grisouille, qui, en semant la tempête, avait peut-être bien semé une graine de joie au cœur de ce chaos inattendu, tirant les gardiens de la richesse hors de la monotonie de leur quotidien, comme une brise légère qui souffle sur des cœurs figés, leur offrant un goût nouveau du monde, celui du changement.
Le mystère de la page blanche
C’est Grisouille qui, la première, s’aperçut du drame.
D’ordinaire, la bibliothèque de Petite Plume était un sanctuaire d’histoires et de savoirs, où le moindre grimoire bruissait doucement sous l’effet d’un enchantement ancien. Mais ce matin-là, le silence était trop lourd. Plus aucun chuchotement des pages tournées, plus aucun grattement de plume magique notant une nouvelle formule. Juste un vide assourdissant.
Grisouille s’étira, bondit sur l’un des pupitres et posa sa patte sur un ouvrage ouvert. Elle cligna des yeux. Le livre était vierge. Pas une seule lettre, pas un dessin. Rien.
Une autre page. Blanche. Puis une autre. Blanche encore. Tous les livres de la bibliothèque avaient perdu leurs mots.
Wikimouse, qui dormait roulée en boule dans l’un des rayonnages, sentit aussitôt l’anomalie. Elle ouvrit un œil, puis l’autre, et d’un bond, elle grimpa sur l’épaule de Grisouille.
— C’est une catastrophe ! Un cataclysme ! Une calamité ! — Une vraie tartiflette de malheur, renchérit Grisouille, qui avait sa propre manière de juger la gravité des événements.
Aussitôt, la petite souris se mit en quête d’explications. Elle farfouilla dans les grimoires, secoua quelques manuscrits, tenta même de goûter une page pour vérifier si la magie du savoir était encore là. Mais rien. Les livres étaient comme vidés de leur âme.
Petite Plume fut avertie de la situation. D’un geste gracieux, elle effleura un ouvrage d’un doigt lumineux, mais même sa magie ne fit réapparaître les mots disparus.
— Il faut comprendre pourquoi les mots se sont envolés, dit-elle doucement. Les histoires ne s’effacent pas sans raison.
Wikimouse, pensive, trottina jusqu’au plus ancien des grimoires. Un livre si vieux que son cuir semblait tissé d’étoiles éteintes.
— Quand un secret est oublié, il s’efface, murmura-t-elle en lisant la seule phrase qui restait.
Un frisson parcourut sa petite échine. Et si c’était vrai ? Si les mots s’étaient effacés parce qu’on ne les lisait plus ?
Elle descendit d’un bond et grimpa sur le pupitre de Petite Plume.
— Les livres veulent exister ! s’exclama-t-elle. Ils veulent être ouverts, racontés, partagés ! Sinon, ils disparaissent.
Petite Plume acquiesça lentement.
— Alors, il nous faut les réveiller.
Et aussitôt, elle convoqua les Voyageurs, ces âmes curieuses qui, un jour, avaient franchi le seuil du laboratoire de Merlin. On leur donna des livres à lire à haute voix, des contes à raconter aux étoiles, des histoires à murmurer aux flammes dansantes des bougies. Et petit à petit, un miracle se produisit : une phrase réapparut sur un parchemin, puis une autre sur un grimoire. Comme si les mots, rassurés d’être aimés à nouveau, osaient revenir.
Wikimouse, perchée sur le nez de Grisouille, sourit.
— Les histoires n’appartiennent à personne tant qu’elles dorment dans des livres fermés. Mais dès qu’on les lit, elles vivent en nous, et elles ne peuvent plus s’effacer.
Et c’est ainsi que, depuis ce jour, chaque nuit, la bibliothèque de Petite Plume résonne d’une douce mélodie : celle des mots qui reviennent à la vie, portés par les voix de ceux qui aiment raconter.
A la recherche du mug perdu
Un matin paisible, dans la cabane de Merlin, un étrange silence régnait. Les rayons du soleil caressaient doucement le bois vieilli, et même la brise semblait s’être arrêtée pour écouter. Mais dans ce calme apparent, une petite fée, d’apparence douce et sage, s’agitait dans l’ombre des étagères : Petite Plume, la fée à la fois puissante et discrète, venait de réaliser une chose bien perturbante.
"Je n'arrive pas à retrouver mon mug !" s'écria-t-elle, déconcertée.
Ce mug n'était pas n’importe lequel. C'était son mug fétiche, celui qu’elle utilisait tous les matins pour boire son thé aux herbes fines, celui qui contenait toutes ses pensées et ses rêves pour la journée à venir. Sans lui, tout semblait un peu moins... ordonné.
Alors, comme toute fée qui se respecte, elle décida d’utiliser un sort. "Retour", murmura-t-elle avec une précision de magicienne. Un sort pour ramener son mug égaré à elle, là, immédiatement, comme si la magie était capable de réparer toutes les petites contrariétés du quotidien. Mais la magie, aussi puissante soit-elle, a parfois ses propres idées…
Dans un éclat lumineux, le sort s'exécuta. Mais au lieu de voir son précieux mug réapparaître, un événement bien plus étrange se produisit. Tout à coup, tous les mugs du royaume, sans exception, apparurent dans la pièce ! Des mugs d’argile, des mugs en porcelaine peints à la main, des mugs en verre étincelant, des mugs en bois sculpté… il y en avait des dizaines, des centaines peut-être, flottant autour d’elle comme des étoiles errantes.
"Qu'est-ce que… ?!" s’étonna Petite Plume, tout en essayant de contenir la tempête de mugs qui tourbillonnaient autour d’elle.
Grisouille, la chatte fidèle de Merlin, qui avait assisté à la scène depuis le coin le plus sombre de la pièce, s’avança avec un regard malicieux. "Tu vois, Petite Plume, parfois il vaut mieux ne pas chercher à forcer les choses. La magie n’aime pas trop être contrariée."
Mais la petite fée ne pouvait s’empêcher de rire de la situation. "Je voulais juste retrouver mon mug... pas en avoir une centaine !"
Et c’est là qu’elle comprit une sage leçon, un peu comme les grands principes de la vie : "Si tu cherches trop fort ce qui te manque, tu risques d’attirer bien plus que ce dont tu as réellement besoin."
Finalement, après quelques tentatives pour réduire l’armée de mugs, elle se rendit compte que la magie n’était pas là pour être domptée, mais pour nous rappeler que la simplicité et l’humilité sont parfois les meilleures solutions. "Le mug était juste là, tout près de moi", se dit-elle en souriant, réalisant que le simple fait de lâcher prise était parfois la clé pour résoudre le plus grand des mystères.
Et bien sûr, comme toute histoire magique, celle-ci eut un petit épilogue : après ce petit incident, tous les mugs disparurent, mais un seul revint, celui que Petite Plume cherchait depuis le début. "La magie est parfois comme ça", se dit-elle en le prenant dans ses mains, "elle nous aide, mais elle a son propre rythme."
Ce jour-là, même Merlin, qui rentrait tout juste de ses aventures, ne su jamais que Petite Plume avait dû chercher son mug parmi les centaines d’autres. Mais Grisouille, elle, savait parfaitement que certains secrets ne doivent jamais être révélés.
Le chocolat volé
Ce jour-là, Colly et Cymo étaient en pleine mission de livraison. Le vent soufflait doucement dans les champs, et les licornes trottinaient d’un pas léger, leurs sabots effleurant la terre avec une grâce infinie. Leur cœur était joyeux : une nouvelle cargaison de potions devait arriver à destination, et elles étaient prêtes à accomplir leur tâche avec toute la célérité qui les caractérisait.
Mais soudain, un parfum sucré se glissa dans l’air, envahissant leurs narines. Le chocolat. Un parfum si riche, si délicieux, qu’il semblait les appeler par leur nom. Colly tourna son regard vers Cymo, l’œil brillant.
— "Tu penses à la même chose que moi ?" demanda Colly, avec un sourire malicieux.
— "Oui, mais restons prudentes," répondit Cymo, bien que son ton trahissait déjà l’excitation qui naissait dans ses mots. "Tu sais que Merlin n’aime pas les détours."
Colly agita sa crinière avec une malice éclatante.
— "Ne t’inquiète pas. Juste une bouchée, et on repart tout de suite. Merlin ne saura jamais."
Les deux licornes s’éloignèrent du chemin, leurs sabots glissant silencieusement sur le sol, guidées par l’odeur envoûtante. Bientôt, elles arrivèrent dans une clairière, où des lutins, tous occupés à leur préparation, façonnaient de délicieuses truffes au chocolat. Les petites boules brillaient sous les rayons du soleil, et les licornes se figèrent, hypnotisées par cette gourmandise magique.
— "Regarde ces truffes !" dit Colly, ses yeux s’illuminant. "C’est presque trop beau pour y toucher…"
— "Mais si les lutins nous voient, on sera en difficulté," murmura Cymo, son regard furtif se posant sur les petites créatures concentrées.
— "Ne t’inquiète pas. Ils ne nous verront pas. Et si on est rapides, tout sera déjà englouti avant même qu’ils n’aient le temps de réagir," répondit Colly, son esprit déjà bien plus occupé par la tentation que par les risques.
En un clin d’œil, elles se lancèrent dans le festin, leurs museaux frémissant de plaisir à chaque bouchée de chocolat fondant. Elles engloutirent les truffes avec une telle rapidité que les lutins, concentrés sur leur travail, ne remarquèrent même pas ce qui se passait.
Mais, ah ! Les lutins n’étaient pas aussi naïfs qu’elles le croyaient. Derrière leurs sourires, ils avaient tendu un piège. En effet, à côté des truffes, se trouvaient des champignons étranges, dont la couleur scintillait d’un éclat doux et hypnotique. C’était là leur secret : ces champignons, infusés d’une magie ancienne, avaient le pouvoir de rendre somnolentes les créatures imprudentes qui s’en approchaient.
Les licornes, prises dans leur gourmandise, ne virent pas la ruse. Elles mangèrent, insouciantes, et bientôt, un voile de sommeil se posa sur elles. Leurs corps se détendirent, et en un instant, elles s’endormirent profondément, les yeux fermés, la bouche encore pleine de chocolat.
Quand elles se réveillèrent, la clairière était vide. Les lutins avaient disparu, et les truffes, elles aussi, avaient été emportées. Mais pire encore : les potions de Merlin, qu’elles portaient avec tant de soin, avaient disparu. Tout avait disparu dans l’ombre de la forêt.
— "Oh non, que faire ?" s’écria Colly, la panique dans sa voix. "Nous avons tout perdu !"
— "Merlin va être furieux," ajouta Cymo, son regard baissé. "C’est la fin… mais pourquoi n’avons-nous pas vu les champignons ?"
— "C’était un piège," murmura Colly, en comprenant soudain la supercherie. "Les lutins ont tout organisé pour nous détourner. Et nous, dans notre gourmandise…"
Les licornes se regardèrent, honteuses et désorientées. Elles savaient qu’il ne leur restait plus qu’une chose à faire : retourner au laboratoire des potions de Merlin, les têtes baissées, les cœurs pleins de regrets. Là-bas, Grisouille les attendait. Elle savait tout, même sans un mot échangé, et leurs regards en disaient long.
Grisouille, fidèle complice, laissa le secret entre elles. Et Merlin, ignorant les circonstances exactes, poursuivit son travail, insouciant du colis perdu dans la clairière.
La vérité demeura entre Colly, Cymo et Grisouille. Et à chaque retour de livraison, les licornes, sages et plus prudentes, se rappelèrent la leçon que les champignons et le chocolat leur avaient enseignée. Une tentation, même la plus douce, cache parfois une vérité qui ne se dévoile qu’à ceux qui osent regarder au-delà de l’appétit.
Merlin et sa Fée
Il était un temps où la Terre respirait au rythme du chant des peuples invisibles.
Sur les sentiers de Brocéliande, là où la brume s’attarde comme un vieux souvenir, certains savent encore percevoir ce que l’Histoire a cru éteindre. Les Hommes, dans leur aveuglement, ont altéré et façonné ce monde à leur image, oubliant l’harmonie qui y régnait autrefois, mais à l’ombre de leurs pas résonne encore l’écho d’autres présences. Elfes, fées, korrigans… ces êtres magiques ont appris à se fondre dans le silence, dissimulés sous l’écorce d’un arbre, derrière un menhir ou une racine. Ce que le regard n’aperçoit plus, le cœur de l’enfant le devine encore.
Aujourd'hui, ce sont les breuvages qui chuchotent à qui sait tendre l'oreille. Chaque gorgée devient un pont tendu entre ce monde et celui que les yeux oublient. On dit que ces potions ne sont pas de simples infusions, mais des reliques d’un temps où l’harmonie liait l’homme à la nature. Dans chaque tasse, il y a un secret, une promesse, celle de renouer avec le Petit Peuple qui se cache encore sous nos pieds, à la frontière de l’invisible.
Je suis Merlin, ou Merzhin en langue bretonne. Des années en arrière, lorsque la forêt était encore plus dense que la mémoire, j’ai rencontré une fée, fragile et blessée par la cruauté des hommes. Ensemble, dans l'intimité des clairières et autour de potions aux parfums enivrants, nous avons guéri nos cœurs et partagé des récits d'antan. Ses breuvages portaient en eux des secrets oubliés.
De ces instants sont nées "Les Potions de Merlin." Plus que de simples boissons, elles sont des portes vers un univers que la raison n’ose plus explorer. Chaque composition raconte une histoire, capture l'essence d'une légende et murmure une vérité cachée. Aujourd'hui, je t’invite, voyageur, à écouter ces récits. Installe-toi. Respire. Laisse-toi emporter.
Le monde moderne ne croit plus en la magie, mais peut-être sauras-tu, toi, retrouver cet émerveillement, ne serait-ce qu’un instant. Car au fond de ta tasse, quelque part entre la première et la dernière gorgée, se cache l'âme d'une fée.
Merlin
À l'orée des grands chênes et des brumes éternelles, une maison de bois respire au rythme de la forêt.
Au cœur du Morbihan, là où la forêt se fait refuge, nous avons ancré notre existence dans une maison de bois, abritée sous les chênes. C’est ici, à l’orée des légendes, que notre petite entreprise familiale a pris racine, nourrie par l’âme bretonne qui imprègne nos cœurs. La Bretagne n’est pas simplement la terre que nous habitons ; elle est un souffle, une mémoire, une âme ancienne qui résonne en nous.
Ce n’est pas un hasard si les mystères de cette région se sont révélés à nous. Autour d’une tasse de chocolat fumant, d’une infusion rare, ou d’un thé dont les notes rappellent des temps oubliés, la légende est venue à nous. Elle s’est glissée dans les paroles d’un conteur, s’est murmurée dans la confidence d’un ami connaissant des sentiers cachés. Peu à peu, elle a pris forme, nous entraînant dans une quête silencieuse, à la recherche de notre propre Graal : un lien intime avec le "Petit Peuple", ces gardiens invisibles des secrets de Brocéliande.
Convaincus que la vraie richesse réside dans le partage, en 2022, nous avons fait le choix de dédier notre passion à la découverte et à la transmission de breuvages d’exception. Chaque gorgée que nous offrons est une invitation à renouer avec un monde ancien, celui où la terre et l’homme respiraient en harmonie, où les légendes faisaient vibrer les cœur.